Stade Letna, Sparta Prague

Prague sous le prisme du ballon rond

Prague sous le prisme du ballon rond

Réputée pour la beauté de sa vieille ville où bâtiments Renaissance, Baroque, Art Nouveau ou Gothique se mêlent, Prague est une merveille. Mais la capitale de la République Tchèque, c’est aussi l’occasion de manger du football. Péno Magazine vous emmène en voyage au cœur de la Bohème.

Texte et photos : Julien Denoël

 

Au départ, ce n’est pas pour le football que nous nous sommes rendus à Prague, quand bien même la ville fut l’un des centres européens du foot durant l’entre-deux-guerres. Mais ce qui était prévu comme un simple city trip touristique a fini – inévitablement, diront certains – par intégrer des visites liées au ballon rond. On ne se refait pas, même à 800 km de la Belgique.

Le centre-historique pragois n’est pas immense et peut être exploré assez facilement à pied ou en transports en commun, que ce soit avec le métro ou avec le tram. Et ça tombe bien, les stades des trois grands clubs de la ville – le Sparta, le Slavia et les Bohemians, tous en D1 – se situent à sa périphérie. L’occasion est belle, dès lors, d’aller voir ceux-ci. A noter également que la ville compte quatorze clubs dans les quatre premières divisions nationales dont cinq dans les deux premières.

Prague
Vue sur le château de Prague depuis le pont Charles. - J.D.

Dans le centre-ville historique, on retrouve peu de traces du sport roi. Il n’y a pas de fan shop pour profiter des touristes, pas de café arborant fièrement les couleurs d’un club ou l’autre. Si on est attentif, on peut voir ça et là des autocollants apposés par des supporters étrangers. Poteaux de feux rouges, cabines électriques, arrières de panneaux de signalisation, escaliers… On en trouve un peu partout, mais très peu finalement des clubs de Prague, signe que le centre-ville est surtout dédié au tourisme.

D'une écharpe à un match de l'équipe nationale

Arrivé le lundi soir à Prague, c’est le mardi que notre voyage débute vraiment. Après avoir découvert le centre-ville, nous nous dirigeons vers le parc Letna. C’est arrivé là qu’on se rend compte que le stade du Sparta Prague, le stade Letna – ou Generali Arena -, n’est qu’à quelques minutes de marche. Décision est donc prise de s’y rendre pour le voir mais, surtout, aller acheter une écharpe du club au fan shop.

Devant le stade, on ne peut s’empêcher de penser que c’est ici, il y a 90 ans, qu’un certain Raymond Braine écrivait sa légende à coup de buts. Un Belge au Sparta Prague qui fait partie des figures totémiques du club tant il en aura marqué l’Histoire. Le stade n’a plus l’aspect de l’époque, les alentours se sont modernisés, mais l’emplacement du terrain de jeu n’a pas changé, tout comme le parc par où nous sommes venus et que Braine a très certainement souvent fréquenté.

Une fois notre achat effectué, on déambule un peu autour du stade lorsqu’on voit une affiche : le soir, c’est République Tchèque – Estonie, match comptant pour les qualifications pour la Coupe du Monde, au stade Letna. Il est 15h, le match est à 20h45. Un petit tour sur le site internet de la fédération – où on ne comprend absolument rien – pour tenter de trouver comment acheter des places, puis sur le site dédié à la vente des tickets, plus tard… et rien. Impossible de prendre des places via le smartphone. Un bel échec d’interface ne permet pas de valider le choix de la place et donc d’acheter le billet.

Retour à l’hôtel une heure plus tard et on se dit qu’on va retenter avec l’ordinateur. Là, c’est bingo. En quelques clics, on se retrouve avec une place pour le match qui, pour rappel, n’avait strictement aucun enjeu puisque les Tchèques étaient déjà assurés d’être barragistes tandis que les Estoniens étaient éliminés de la course à la qualif depuis longtemps. On va donc aller voir un match amical officiel. Un match pour la science, pour la découverte d’une autre ville, d’un autre pays. Un match pour s’imprégner du foot tchèque.

eticket du match République Tchèque - Estonie.
Alors, eTicket ou pas eVstupenka ? - J.D.

eTicket ou pas eTicket ?

Après avoir enfourné un Burger King – cuisine typiquement tchèque, nous en conviendrons – on opte pour le métro afin de se rendre au stade. Non pas qu’on soit frileux à l’idée de marcher 40 minutes jusqu’à la Generali Arena, mais les 10 km avalés dans la journée ont laissé des traces et on tient à se préserver pour la soirée.

On regarde où descendre, on tente de retenir le nom imprononçable de la station et puis on se dit qu’on va le faire à l’ancienne et compter le nombre d’arrêts avant de descendre. Sauf qu’on en manque un dans le calcul et, bien évidemment, on sort trop tôt. Fort heureusement, les tickets ne sont pas valides au trajet mais à la durée, résultat on retourne dans la station et on repart. Moment choisi pour vérifier le ticket et remarquer qu’il fallait l’imprimer. Notre eTicket, qui a tout d’un eTicket, n’est apparemment pas un eTicket. Le match est à 20h45, il est 19h20, on a le temps de trouver une solution et d’aller demander de l’aide au point info. Et puis s’il faut racheter un ticket sur place, à 13€ la place, ce ne serait de toute façon pas un drame. Con, mais pas dramatique.

Enfin arrivé à la bonne station, on rejoint le stade à pied, avec de nombreux fans tchèques. Mais à un feu rouge, on n’est pas loin du drame. Déjà en attente que cela passe au vert, un groupe de supporters du Sparta Prague est rejoint par plusieurs fans du Slavia. Entre les deux, une grosse rivalité. Directement, les regards s’échangent, teintés d’un certain mépris envers l’autre. Chacun est certain que son club est le meilleur et le fait sentir. Quelques mots fusent, mais impossible de les comprendre. On regarde le feu, toujours rouge. Fort heureusement, la tension ne monte pas plus. Il faut dire aussi que les supporters en question ne devaient pas avoir plus de 8 ans.

Mauvaise commande
et grande saucisse

On poursuit et atteignons le stade. Au point info, on explique notre situation mais on nous affirme qu’il n’y a pas de problème. Le eTicket qu’il faut imprimer parce qu’il n’est pas vraiment un eTicket même s’il a toutes les caractéristiques d’un eTicket est en fait bien un eTicket qu’on peut scanner aux bornes d’entrée comme n’importe quel autre eTicket. Sauvé. On ne devra pas trouver un imprimeur à 19h50. Rassuré, on pénètre donc dans l’enceinte du stade, non sans avoir été rappelé à l’ordre : ne pas oublier de mettre son masque. Avant de présenter son covid safe ticket, d’être fouillé, de passer les contrôles ticket… et de retirer le masque. Utile. Il n’y a pas qu’en Belgique que la cohérence a fui les mesures anti-covid.

Direction le bar avec une intention claire en tête : se prendre une bière. Au moment de passer la commande, en revanche, bug complet. « Two beers please. » Sans sourciller, sans le moindre doute. Et voilà deux 47cl – allez comprendre la logique de cette contenance – servies. On en voulait qu’une, mais comme on a deux mains, ce n’est pas réellement un problème.

Cela laisse du temps pour observer les lieux. La terrasse où nous nous trouvons est assez sympathique mais ne protège pas vraiment du froid. Détail amusant, on remarque que partout dans le stade, à l’entrée des accès aux gradins, on retrouve les noms des joueurs qui ont remporté des trophées avec le Sparta. On voit ainsi des noms comme ceux de Jiri Novotny ou Pavel Nedved, avec des petits coupes sous leur nom. De quoi imprégner les lieux de l’Histoire qui fait la légende du club. Pas mal de clubs pourraient s’en inspirer chez nous.

Légendes du club au Sparta.
Légendes du club au Sparta.
Une saucisse trop grande.

Une fois les breuvages houblonnés terminés, on monte à notre place, à 15 minutes du début de la rencontre. De là, derrière un des buts, on voit que le stade n’est en fait pas très grand (un peu moins de 20.000 places) et pas vraiment moderne. Les gradins ne sont pas énormément garnis non plus. Sans enjeu réel et face à un modeste adversaire, on comprend que les foules ne se soient pas pressées pour assister à la rencontre.

Au bout de seulement 10 minutes de jeu, on sent qu’il est temps de purger. Mais nous sachant capable de tenir, on patiente. Le foot avant tout. Et le foot, ce soir-là, peut se résumer en quelques mots : une  domination tchèque énorme et des ratés qui le sont tout autant. Au bout de 45 minutes, c’est toujours 0-0 mais vu la physionomie du match, on est certain que cela va se débloquer en deuxième période.

A la mi-temps, tiraillé par la faim et par le litre de bière qu’on s’est enfilé avant le match et qu’il a fallu évacuer, on descend se sustenter à l’un des nombreux chalets. Le choix est vite fait puisqu’ils servent tous la même chose à manger et à boire. On décide de prendre un hot-dog, ou quelque chose qui y ressemble en tout cas vu la tête de la serveuse quand on lui envoie notre commande. Un air surpris, un regard lancé vers les saucisses dans leur pain et on acquiesce. En main, ce hot dog tchèque est ridicule. Une saucisse trop grande, fruit d’une union entre une merguez et une saucisse de Francfort, un pain trop petit et mal cuit, aucune sauce ainsi qu’une tonne d’oignons frits donne à ce met un air peu délicat mais qui convient parfaitement à la circonstance. On n’est pas venu à ce match pour manger de la grande gastronomie et on est servi. Au goût, on en gardera pas un souvenir impérissable en tout cas.

Des chants qui n'ont
pas de sens

En tribune, après la piètre première mi-temps, les supporters commencent tout doucement à s’agacer. Leurs protégés dominent, poussent, mais ratent la majorité de leurs occasions. On entend siffler des noms d’oiseaux – ou du moins c’est ce qu’on suppose être vu l’intonation et le moment où ils sont lancé, comme on ne comprend strictement rien – et des soufflements à chaque action ratée. Jusqu’à ce corner mal géré par les Estoniens qui permet aux Tchèques de prendre l’avance. 1-0, le stade est en feu ! Ou pas. La foule n’étant pas énorme, on ressent de la joie, c’est clair, mais on n’est pas dans une ambiance exceptionnelle non plus. A peu de chose près, on pourrait se croire à un match de play-offs 2 en Belgique.

Cela a toutefois le mérite de réveiller les tribunes. L’enthousiasme retrouvé, notamment avec un deuxième but de leurs protégés, les fans tchèques commencent à lancer des chants. Mais ceux-ci n’ont absolument aucun sens. D’abord, ils entonnent de vibrants « Chelsea, au Maroc ! Chelsea, au Maroc ! Chelsea, au Maroc ! ». Pourquoi diable Chelsea devrait-il déménager au Maghreb ? Et qu’est-ce que les Blues viennent faire dans un match entre la Tchéquie et l’Estonie ?

Ensuite, les supporters locaux passent à « Come on Farssi ! ». Le joueur de Dison n’est pas sélectionné et, pire, le Belgo-Marocain n’est même pas Tchèque. Dans le stade, on entend encore des « Chelsea ! Chelsea ! Chelsea ! » et, plus surprenant encore, des « Krmencik, ici en Wallon ». Pour un joueur – bien sélectionné, lui, et même sur la pelouse – ayant évolué au Club de Bruges, c’est à n’y rien comprendre. On n’aura véritablement rien compris à la logique des supporters tchèques, mais cela aura eu le mérite de nous faire rire. Au prochain match des Diables, on pensera à scander le nom du Borussia Dortmund et à encourager Marc Overmars. Tout en demandant à Kevin De Bruyne de parler en tchèque.

En quittant le stade, on passe devant la salle de presse. Qui ne tente rien n’a rien, on se présente en montrant notre carte de presse, espérant vaguement pouvoir entrer. Le but ? Aucun, si ce n’est l’envie de relever le challenge. Car à l’intérieur, rien ne justifierait notre présence. Et de toute façon, on ne comprendrait rien, entre le Tchèque et l’Estonien. Mais le brave steward à l’entrée nous adresse une fin de non-recevoir. Dans un anglais balbutiant, il nous explique qu’il nous faut un ticket spécial. On s’en doutait. Ce sera pour une autre fois. Ou pas.

Salle de presse stade Letna Prague Sparta

Monstre architectural

Le lendemain, après la visite du château de Prague, direction Petrin, une colline verdoyante (mais il faut le dire vite à cette période) à l’ouest de la ville. A son sommet, une tour d’observation mais également le stade Strahov, le plus grand du monde dédié au sport (hors automobile). Une enceinte hors-norme, gigantesque, qui dispose de 220.000 places dont 56.000 assises, et dont l’aire de jeu est capable d’accueillir 9 terrains de football.

Construit en 1926, le stade de Strahov n’a toutefois pas été édifié spécifiquement pour le football. Il a surtout accueilli des événements de masse de gymnastique. Une manière pour le régime communiste, installé en 1948, de glorifier le travail. Mais on y a quand même un peu joué en football puisque la sélection Tchécoslovaque a disputé 32 matchs là, entre 1927 et 1965 (29) puis entre 1991 et 1992.

On grimpe au sommet de la colline grâce à un charmant petit funiculaire. De quoi épargner ses jambes après déjà plusieurs heures de marche dans la ville. Pour arriver au Strahov, on traverse un miniquartier fait de blocs résidentiels sans aucun charme. Ajoutez à cela le ciel gris et le temps froid, et vous avez une atmosphère qui respire bon le communisme. Seules les voitures actuelles permettent de savoir qu’on est bien en 2021.

Car quand on arrive devant le Strahov, on a l’impression que le temps s’y est arrêté. La dernière rénovation date de 1972 et 50 ans plus tard, le stade n’a visiblement pas beaucoup évolué dans son aspect extérieur. De longues colonnades faites dans un bêton armé dépassé et qui commence à rendre l’âme à certains endroits, des grilles rouillées et des escaliers qui ne comptent plus les pas les ayant foulés donnent à l’endroit un aspect vintage assez agréable. Au diable la modernité, l’authenticité est là. La vétusté aussi.

Strahov, Prague.
Stade de Strahov, Prague.
Stade de Strahov, Prague.
Stade de Strahov, Prague

A l’intérieur, c’est un peu différent. Depuis quelques années, le Sparta Prague a pris possession des lieux pour en faire son centre d’entraînement. Des terrains impeccables garnissent l’endroit, un bâtiment trône un peu après l’entrée, et on trouve même un dôme gonflable. Très moderne, au milieu de ce temple dédié au sport totalement décrépi. A certains endroits, la nature a même carrément repris ses droits, avec de l’herbe qui pousse là où se tenait, il y a bien longtemps, le public.

On fait le tour pour tenter de trouver un endroit d’où accéder aux tribunes, mais impossible. Les grilles sont bien fermées et on ne peut donc que se contenter de jeter un œil discret dans cette admirable enceinte sportive venue d’une autre époque. C’est aussi l’occasion de voir qu’il y a de la vie au Strahov. Des commerces ont élu domicile au rez-de-chaussée de la tribune principale. On trouve même un concessionnaire Suzuki dans une des tribunes. Plus loin, on tombe sur un homme en train de ranger du bois… Quoi de plus normal ? Il y a aussi des vieilles voitures, des brics, des brocs. Le Strahov, c’est un monde à part, spécial ; unique.

Slavia sans charme
et moulin des Bohemians

Notre voyage se termine le vendredi et cette dernière journée est l’occasion d’aller voir les stades du Slavia et des Bohemians. Pour s’y rendre, on utilise le métro, le tram et nos jambes. Direction tout d’abord le stade du Slavia, le Sinobo Stadium.

Sur la tribune principale, de grandes bâches montrent quelques légendes du club. On peut ainsi apercevoir, Vladimir Smicer, Stanislas Vlcek, Vlastimil Kopecky ou encore Antonin Puc. Mais cela ne donne pas plus de cachet que cela à l’arène. Le Sinobo Stadium est une enceinte moderne, sans aucun charme. Le stade, qui porte le nom du groupe chinois propriétaire du club, est situé dans un quartier résidentiel composé de HLM. En face, un énorme centre commercial donne la réplique dans un dialogue urbain qui manque de romantisme.

Un hôtel et des commerces utilisent certains espaces du stade. On trouve même un McDonalds avec drive-in. La beauté du XXIe siècle où un stade ne se résume plus qu’au match du dimanche. C’est rentable, mais sans âme. Tant qu’à être sur place, on se rend au fan shop pour acquérir, là encore, une écharpe aux couleurs rouge et blanc du club.

Direction ensuite le Dolicek, stade du FC Bohemians 1905, à seulement 1,3 km. Autant dire qu’on va y aller à pied. Quinze grosses minutes de marche qui permettent d’arriver à l’un des coins du complexe. On est tout de suite dans une autre ambiance. Pas de modernité ici, que de l’authentique. L’enceinte est ceinturée par des vieux murs en béton armé des années 30 ainsi que par des palissades en aggloméré. Pas d’écran LED mais un panneau aimanté pour annoncer la date et l’heure du prochain match.

On accède à l’intérieure de l’enceinte, où se situe le fan shop, par un autre coin. L’entrée respire bon les années 30 avec notamment le fameux logo kangourou du club en haut. Manque de bol, on arrive à 15h15 et le magasin fermait ses portes à 15h. On en profite donc pour faire le tour du propriétaire. Il n’y a personne, et c’est entrée libre partout. On se rend d’abord en tribune, qu’on explore de long en large, constatant l’excellente vue sur la pelouse. Ensuite, direction l’herbe justement. Un petit tour sur le terrain pour voir qu’elle est en excellent état. Une visite aussi improbable qu’irréel puisqu’on parle tout de même d’un club de Division 1.

Charmé par la ville et son architecture, son ambiance, son histoire, nous l’avons aussi été par sa face dédiée au foot. On conseille donc fortement aux amoureux du ballon rond, s’ils en ont l’occasion lors d’une visite de Prague, d’y goûter aussi. Ils ne le regretteront pas. Dobrá zábava !