Jonathan Legear

Au Stade de la Cité de l’Oie, Jonathan Legear est enfin roi. Sa fin de carrière « professionnelle » – ça, c’est pour le terme officiel, l’ancien Diable Rouge faisant naturellement partie des joueurs pros de l’effectif visétois –  n’a pas été à la hauteur du talent d’un joueur qui a fait des mauvais choix et ne s’en cache pas ; mais depuis son retour en terre liégeoise, « Jona » a retrouvé le sourire. Même si, pour être tout à fait franc, il nous paraît ne jamais vraiment l’avoir perdu, tant il raconte son vécu sans la moindre amertume. Péno Magazine l’a rencontré à Visé, où il espère enfin pouvoir entamer pour de bon le dernier chapitre de sa vie de footballeur après un « faux départ » pour cause de Covid-19 …

Texte : Florent Malice / Photos : Bruno Fahy

Bonjour Jonathan, commençons par le début : comment ça va, en cette période un peu spéciale pour le football amateur ?

>Ça va ! C’est une situation particulière. Nous avons beau avoir des contrats pros, le monde amateur n’a pas été considéré comme le monde professionnel. On voit bien que quand il y a un enjeu financier derrière, on sort les grands moyens avec des tests et tout ce qui s’ensuit alors que nous, on nous demande des conditions professionnelles pour l’obtention des licences mais pas pour le reste. C’est frustrant. On était bien, on avait fait une bonne prépa, et on a ensuite dû s’arrêter pendant des mois.

C’est d’autant plus frustrant que c’est arrivé deux fois : au premier confinement, la saison a été annulée, et cette saison, rebelote…

>Cette fois, on espère quand même que tout sera relancé la saison prochaine. Que tout le monde puisse être vacciné et qu’on dispose de conditions correctes pour s’entraîner et se préparer. Mais je suis quand même les cours d’entraîneur à l’heure actuelle, donc c’est un mal pour un bien : j’ai beaucoup de temps pour moi à ce niveau-là.

LE COVID S'EN MÊLE

Rembobinons : le 30 décembre 2019, les supporters de l’URSL Visé reçoivent un beau cadeau de fin d’année lorsque Jonathan Legear, 32 ans, refuse plusieurs projets en D1A pour signer en D1 Amateurs (pas encore renommée Nationale 1), après un bref bail en D2 turque. L’ancien d’Anderlecht et du Standard ne s’en cache pas : c’est probablement son dernier défi, et il se donne deux saisons avant de passer de l’autre côté du miroir. Rien ne se sera vraiment passé comme prévu…

On peut le dire, maintenant : c’était quand même le pire moment, rétrospectivement, pour signer au sein d’un club amateur. Tu arrives et tu te prends une saison blanche et demie…

>Le pire, oui et non : je préfère encore être en fin de carrière et me retrouver dans cette situation de Covid que d’être un jeune de 19 ans qui doit faire ses preuves et se montrer pour faire une carrière. Il « perd » deux ans lors desquels il ne sait pas prouver ses qualités, il a moins de chances d’obtenir un transfert… Je joue moins, je m’entraîne moins mais je n’ai plus rien à prouver. Si tu n’étais pas dans un club de D1A ou D1B tu n’as rien pu montrer…

Tu l’as ressenti, à Visé ou dans ton entourage ? Que certains jeunes perdaient un peu en motivation ?

>Un jeune reste toujours motivé. Même moi, je suis motivé comme un jeune, j’ai cette envie de gagner à l’entraînement, je suis un compétiteur, la motivation est là. Mais un jeune qui ne s’entraîne pas perd vite ses meilleures années et à l’heure actuelle, à 21 ans, tu n’es plus jeune (sourire). Les clubs veulent des gamins de 18-19 ans pour les faire évoluer et les vendre. Si tu as cet âge et que tu perds un ou deux ans, tu n’es plus considéré comme un joueur tout jeune. C’est vrai, dans notre série, les jeunes perdent du temps qu’il est compliqué de rattraper.

De ton côté, vu ton style de jeu, chaque année perdue peut aussi se faire sentir.

>Notre chance ici, c’est qu’on a un président, Guy Thiry, qui est d’une humanité rare. C’est quelqu’un qui a énormément de valeurs, de respect, il va toujours essayer d’aider ceux qui ont du mal sur le plan sportif et il donnera leur chance à ceux qui ont eu du mal à s’exprimer jusque-là.

La crise du Covid-19 a donc aussi été l’occasion de resserrer les liens avec ton entourage, notamment celui du club…

>Oui, comme je le disais, je pense vraiment qu’un président comme celui de Visé, il n’y en a pas deux, que ce soit à n’importe quel niveau, D1A ou Provinciale. J’ai côtoyé de nombreux présidents dans ma carrière et le respect, c’est le plus important, où que tu sois. C’est une bonne personne et il prouve année par année qu’il est quelqu’un de très correct.

Jonathan Legear

Le pro chez
les amateurs

Quand Jonathan Legear a quitté Saint-Trond en 2018 pour la Turquie et l’Adana Demirspor, le football belge a fait connaissance depuis un an avec un système typique du Plat Pays : la division du football amateurs en D1, D2 et D3 Amateurs. Dès 2016-2017, le carnaval commence : sanction administrative pour Deinze finalement levée en Évocation, licences non-attribuées au White Star et à Sprimont-Comblain, non-demandée par Coxyde (à la demande du club), Beerschot-Wilrijk assuré d’être champion dès les playoffs car seule équipe les disputant à avoir le sésame pour la D1B. La saison suivante ? Le champion, Knokke, ne peut pas monter, privé de la licence adéquate. Tout ce micmac, Legear le retrouve et il s’est même opacifié depuis l’énième réforme « à la belge » mise en place avant le Covid…

Combien êtes-vous à disposer du statut professionnel à Visé ? Que penses-tu de ce système ?

>Je ne sais pas exactement, mais c’est quand même paradoxal. Je reviens et on nous oblige à avoir des contrats pro pour la licence alors que c’est une D1 Amateurs. Déjà, ce n’est pas cohérent. Et ensuite, on se retrouve considéré différemment quand il s’agit des aides de la fédération, pour les tests, etc… Cette D1 Amateurs (actuellement Nationale, nda), elle va continuer à encore évoluer, parce que c’est impossible d’être amateur et d’être face à autant d’exigences.

Tu y comprenais quelque chose, à ton retour ?

>Je n’ai jamais même compris l’intérêt du système de Playoffs, tout bonnement. Rien de tel qu’un championnat avec une D1, une D2, une D3, un championnat à 16 ou 18 et celui qui est le meilleur est champion. Quand on voit que Bruges pourrait encore ne pas être sacré (l’entretien a été réalisé lors de la folle remontée genkoise, nda), ça me paraît être n’importe quoi. C’est une question de droits télévisés, je sais, mais on en perd un peu notre amour du football. Cette D1B où tu affrontes 4 fois la même équipe, ça ne rime pas à grand-chose non plus. Je ne comprends pas qu’on en revienne pas à quelque chose de plus simple.

À ton arrivée, tu avais annoncé que tu disputerais deux saisons puis que tu envisagerais ton après-carrière. Ça fait un an et demi, et j’imagine que tu n’as pas la sensation d’avoir vraiment lancé ton dernier chapitre…

>C’est la raison de ma prolongation récente, je suis à Visé pour du long terme. Un coach comme José Riga (qui passe par coïncidence juste à ce moment de l’entretien derrière nous, nda), qui est quelqu’un de très humain aussi, je peux en apprendre beaucoup, comme je l’ai déjà fait au Standard. Il a une vision hors du commun et idéale pour un club comme Visé. Mon but est d’aider l’équipe première, lui amener mon vécu. Ce qu’il manquait ici, c’est de l’expérience. Quand on voit que Réginal Goreux a été mis à la tête de l’Académie au Standard, c’est l’idée aussi : on sait ce qu’il peut amener aux jeunes en termes de vécu.

Au final, la crise du Covid t’aura fait prolonger le plaisir (rires).

>Oui, mais comme je l’ai dit au président : tant que je le peux, je jouerai ! Mon idée était d’intégrer le staff, mais tant que je sens que je peux aider l’équipe, je ne dis pas non à 2-3 ans de plus. Même si à un moment donné, si ça ne va plus, et c’est le but de mes cours d’entraîneur, j’intégrerai le staff.

10 sur 10
chez les Diables

Jonathan Legear a bien failli faire partie de la liste peu prestigieuse des « Diables une seule fois » : l’ailier d’Anderlecht, à l’époque, n’a disputé que deux matchs avec la sélection. Mais contrairement à d’autres de ces éphémères internationaux, le souvenir laissé est vivace, grâce à une prestation quatre(quatre) étoiles face à l’Autriche, match entré dans la légende du football belge, à l’aube d’une folle décennie. Avec lui, sur le terrain ou sur le banc, lors de son passage chez les Diables Rouges, beaucoup de joueurs qui viennent de raccrocher : Jelle Van Damme, Sébastien Pocognoli, Steven Defour, Olivier Deschacht, Jean-François Gillet, Silvio Proto ou encore Laurent Ciman – et même, en un sens, Vincent Kompany.

Quand tu vois toute cette génération raccrocher, tous ces joueurs de ton âge ou un peu plus vieux, ça te fait un pincement au coeur ?

>Non, je crois qu’on a fait notre temps (sourire). Je suis professionnel depuis 16 ans, ça va faire 18 ans que je suis pro, notre corps ramasse pas mal de coups. C’est un métier de luxe, hein ! Je ne dis pas le contraire, on vit dans un certain confort. Mais ce sont des entraînements physiques, pénibles pour le corps, le dos, les genoux… À un moment, il faut dire stop.

Ta génération semble avoir un peu été celle « de transition », entre 2002 et l’actuelle. Tu ne penses pas qu’on risque de l’oublier un peu, d’oublier ces joueurs des années 2010 ?

>Il y aura toujours des générations de transition ! Même l’actuelle, les grands noms sont là et le seront encore pour des années, mais certains qui prendront le relais ne seront pas forcément au même niveau, en attendant qu’une nouvelle arrive. Des garçons comme Tielemans, Trossard ne remplaceront jamais les Hazard ou De Bruyne.

Mais le Legear de l’époque, tu seras d’accord avec moi, paraissait avoir le talent pour être au moins de la génération 2014, celle du Brésil.

>Oui, très clairement, cette génération, elle était faite pour moi. J’ai joué quelques matchs avec elle, j’ai été élu homme du match. Je me souviens du match contre l’Autriche : j’avais eu 10/10 dans les cotes de la presse. J’étais en vue à Anderlecht, j’avais le statut qu’il fallait en équipe nationale. Mais certains choix ont été faits de ma part. Peut-être que si je n’avais pas été m’enterrer en Russie, que si j’avais été mieux conseillé après la Russie pour signer dans un meilleur club… Plein de facteurs font que si j’avais été mieux encadré, j’aurais pu m’épanouir plus et m’y installer. Mais ce que j’ai pu réaliser était une satisfaction. Ce 4-4, je m’en rappelle, c’était un match plaisant, le public était en folie. À refaire, je ne serais pas parti d’Anderlecht, j’aurais peut-être d’abord essayé de m’installer en sélection pour décrocher un meilleur transfert.

Jonathan Legear

From russia
with love

Août 2011, c’est la stupeur : « Jona » prend le public belge au dépourvu en signant, au détour de deux saisons de haut niveau au RSC Anderlecht, en… Tchétchénie. Direction le Terek Grozny, les montagnes du Caucase, et cette république plus célèbre pour son fantasque président – Ramzan Kadyrov – que pour ses performances footballistiques. Le début de la fin sur le plan sportif pour Legear qui, de fil en mauvais aiguillage, ne retrouvera pas les sommets.

Je ne peux pas faire sans te parler de Grozny et de la Tchétchénie. Tu en as déjà beaucoup parlé, mais ça a dû être un choc culturel inimaginable.

>Pour être honnête, je garde énormément de bons souvenirs de la Russie. Mes parents et mes amis ont pu m’y rendre visite et on y a passé de beaux moments. Ce qui a été dur pour moi, c’est d’avoir vécu à Bruxelles et m’être entraîné dans un centre dernier cri, puis de me retrouver au fin fond de la Russie dans des installations dignes d’une Provinciale. De plus, je vivais dans une « ville » qui était plutôt un petit village (Jonathan ne vivait pas à Grozny mais à… 50km de la capitale tchétchène, nda). En Belgique, même si tout le monde n’a pas les moyens de s’offrir tout et n’importe quoi, on peut quand même considérer qu’on vit bien, qu’on a tout à portée de main. Les soins de santé sont au top également. Là-bas, je me retrouvais dans ce qui serait Liège durant les années 50. Ça a été le plus dur. Mais pour le reste, que ce soit la gentillesse des gens au club et en ville, le contact avec le président Kadyrov, c’était positif. J’ai pu découvrir une nouvelle culture, voir comment ils vivaient au quotidien. J’ai aussi eu la chance de visiter Moscou plusieurs fois et ça, ma famille et moi avons adoré : là, c’est l’inverse, selon moi ils ont des années d’avance sur la Belgique (rires).

Ces choix, ces conseils peu avisés de la part de certaines personnes que tu dénonçais plus tôt, c’est ce qui t’incite aujourd’hui à vouloir devenir coach, agent ou conseiller ? Éviter aux jeunes des erreurs que tu as pu commettre ?

>Il y a trois choses que je retiendrai en priorité si je dois aider un club ou des jeunes dans mon après-carrière. Premièrement, l’argent, il faut l’oublier, ne pas le mélanger au sportif. C’est un point que les agents font souvent passer en priorité. Ensuite, mentir aux jeunes joueurs, leur faire espérer des choses, ça n’amène rien de bon aux jeunes. Et enfin, être clair avec les jeunes, transparent, expliquer tout cartes sur table et débattre ensemble pour prendre la meilleure décision.

Je suppose que si tu pointes ces trois choses, c’est parce que ça a pu te manquer…

>Bien sûr ! Quand je vois les problèmes au sein des clubs par rapport aux agents, c’est toujours financier ou parce que quelqu’un n’a pas été correct. Je viens d’une famille qui a des valeurs et j’en ai moi-même, je ne ferai jamais miroiter quelque chose à des jeunes joueurs, je serai le plus clair possible avec tout le monde.

Est-ce que la prochaine étape à prévoir dans le monde des agents, après une ère de domination de financiers et hommes d’affaires sortis parfois de nulle part, ce n’est pas que des joueurs deviennent agents à leur tour et amènent leur expérience ? C’est peu le cas, mais ça commence à venir…

>Tant que les clubs ne changeront pas leur mentalité et ne travailleront qu’avec certains agents, rien ne changera. Il y a des clubs, comme Genk par exemple, qui ont pour principe de travailler avec n’importe quel représentant, qu’il soit connu ou pas, tant qu’ils sont intéressés par le joueur. C’est comme ça que ça doit fonctionner…

trust the process

Dès ses débuts, Jonathan Legear a par moments été stigmatisé, pointé du doigt pour quelques écarts de comportement – voire, de manière puérile et triviale, pour son célèbre défaut de prononciation. Jamais le jeune « Jona » n’a pu évoluer dans la sérénité et la bienveillance qui entourent certains jeunes actuels, notamment dans son ancien club, le RSC Anderlecht, qu’il suit encore avec attention.

Parlons un peu du projet du club qui t’a lancé chez les pro, celui d’Anderlecht. Je suppose que tu le suis avec attention.

>Concernant Vincent (Kompany), c’était certain au vu de sa personnalité qu’il souhaiterait être coach. Il a côtoyé ce qu’on peut appeler le meilleur entraîneur du monde, Pep Guardiola, ça n’a pu que le motiver. Quant au projet d’Anderlecht, je l’ai soutenu depuis le début, mais dès les premiers mois, j’ai dit que leur problème avait été la clarté de la communication. Kompany a un peu été victime de ça : le club n’a pas été clair depuis le début. Ils auraient dû dès le début être clairs et lui faire confiance. Mais peu de coachs auraient accepté comme Vincent une telle nécessité financière, passer du noir au blanc entre un club surpuissant financièrement avant, et désormais si limité. Je pense que si la communication avait été claire, avait fait savoir dès le début les difficultés financières du club, les supporters auraient été compréhensifs. Là, ils ont été un peu pris au dépourvu, parce qu’Anderlecht reste Anderlecht : il faut toujours gagner.

Kompany est donc arrivé dans un contexte délicat, selon toi.

>Il a dû gérer des erreurs de recrutement, et le budget du club était ce qu’il était – il ne pouvait pas régler ça d’un claquement de doigts et monter une équipe qui pouvait être championne. Il a dû composer avec des manquements, faire avec ses connexions, des joueurs bon marché… Vincent n’avait même pas les ingrédients suffisants pour faire la saison qu’il a fait. Quand on voit d’où ils viennent, c’est juste fantastique de voir où ils en sont.

Beaucoup de joueurs formés à l’époque disent aujourd’hui qu’avec l’encadrement actuel, ils auraient fait une meilleure carrière. Tu penses la même chose ?

>Ce n’est pas propre à Anderlecht : quand j’ai quitté le Standard pour aller à Neerpede, il n’y avait aucun jeune de 16 ans dans le groupe pro des Rouches. À Anderlecht, il y a eu moi, Kompany, Vandenborre. J’étais titulaire en Ligue des Champions à 17 ans, mais j’étais un peu une exception. Ca a pris du temps par après, et je pense que si la politique actuelle du club avait été en place, cela aurait été différent. Des joueurs comme le regretté Cheikh Tioté, Sami Allagui, Roland Lamah – qui ont fait leur carrière, bien sûr – auraient pu percer plus tôt et auraient donc pu faire mieux.

Tu ne penses pas que les jeunes d’Anderlecht, actuellement, subissent un peu trop de pression ?

>Ce qu’ils subissent actuellement, c’est le pire… et le meilleur qu’ils puissent connaître. Au niveau pression des médias, des supporters, le plus dur est passé pour eux. S’ils savent surmonter ça à 16-17 ans, leurs plus belles années sont devant eux. Si tu sais supporter ça en t’améliorant, c’est fantastique.

Jonathan Legear
Jonathan Legear

Crédits
Texte : Florent Malice / Photos : Bruno Fahy

Remerciements : Jonathan Legear, URSL Visé